dimanche 13 février 2011

Face aux démons, extrait n°3

Donc, voici Lordel -Maître Edrulain combattant- et Safaël -jeune magicien prometteur- qui se retrouvent (Lokar et moi savent seuls comment) à bord d'un navire marchand rahajidan. Les Rahajidans, pour ceux qui l'ignorent encore, sont un peuple de navigateurs et commerçants pacifiques, doux et sensuels, amis de presque tout le monde dans les Folandes -sauf des sangrelins, bien sûr-.
C'est Safaël qui parle.


Je ne pus ouvrir les yeux quand je revins à la réalité. J’entendis néanmoins l’échange de Lordel avec celui qui devait être le patron du navire.
— Entendons-nous bien, mon ami edrulain, que je sois foudroyé sur place tout de suite et que ma mère me maudisse si l’idée de vous livrer vient seulement m’effleurer, mais tu sais comme moi que les Verougues finiront par apprendre que je vous ai recueillis. Je ne suis pas un habile commerçant au point de me rendre dans leur île pour essayer de leur vendre quelque chose, mais je fais de bonnes affaires dans les Milîles.
— De ne pas secourir un naufragé les lois de la mer interdisent.
— Un naufragé d’un bateau, oui. Cela s’applique t’il aux portes volantes ? Écoute-moi : si je vous avais laissé couler, personne ne l’aurait jamais su. Je t’accorde que je ne pouvais pas, toi et ton ami, te laisser mourir ainsi. Mais voler à ton secours va m’attirer des ennuis. Les Verougues vont savoir que je vous ai aidés, rusés comme ils sont. Je vois de gros ennuis, de très gros ennuis, de…
— Vrai cela n’est pas.
— Que si ! Les tracas vont pleuvoir sur moi et mon infortuné bateau comme la neige sur Wolga en hiver. Je ne pourrais plus commercer. Sans commerce, pas d’argent. Sans misérable argent, comment payer mon équipage ? Comment nourrir mes pauvres ? Comment constituer le présent à offrir à la famille de ma future épouse ? Venir à ton secours, ami edrulain, c’est me planter une dague dans cette main qui a soigné ton ami.
— Nous laisser couler rongé de honte t’aurait accablé. Vous autres, Rahajidans, les plus gentils des gens des Folandes êtes. T’épancher dans une taverne, dire le mal qui ronge ton âme un jour tu aurais fait. Aux oreilles des miens cela serait venu. Et les Edrulains, bien meilleurs traqueurs que les Verougues sont.
— Par ma pauvre mère, quelle misère ! Moi, Shar Al-Shamid, infortuné commerçant voyageur, me suis-je donc condamné à la pire des misères en faisant mon devoir d’homme et de marin ?
— Ami des Edrulains tu seras désormais. 
— Cela est bon mais cela ne va pas me nourrir, ni moi, ni mon équipage, ni ma famille, ni mes pauvres, ni les pauvres épouses et les pauvres enfants de mes marins. Quelle infortune !
— De moi qu’attends-tu ?
— Je ne veux pas une récompense pour n’avoir fait que mon devoir. Mais une simple, une misérable compensation pour réparer les torts infinis que venir à votre aide entraînera.
— Que veux-tu ?
— Trois fois rien. Quelques misérables tonneaux de vin du Donlor. Un vieux bateau que je pourrais monnayer pour quelques piécettes. Deux petites douzaines d’arcs comme le tien. Ou peut-être as-tu une sœur, aussi belle que tu es grand et fort, dont je pourrais faire le bonheur ou qui fera celui d’un de mes frères ou cousins. Presque rien…
— Sur Libreterre nos femmes préfèrent demeurer. Vendre les nôtres nous ne faisons pas. Ma sœur, plus grande et aussi forte que moi, très heureuse est là où elle vit avec ses sept enfants. De la fabrication de nos arcs gardons le secret dont les elfes nous ont fait présent. Le monopole du commerce des vins nos frères nains ont depuis la guerre de libération.
— Alors, un bateau ?
— Pour de l’eau nous avoir sortis ? Très cher cela est.
— Tu me plonges dans la pauvreté et tu me refuses cette petite compensation ? Tu as vraiment un cœur de pierre.
Le marchand se mit à pleurer.
— Misère, misère, misère ! Moi, Shar el-Shamid, honnête, bon, loyal, gentil, si gentil, modeste, si modeste, qu’ai-je donc fait au destin pour subir pareille infortune !
Lordel soupira.
— Ton bateau, tu auras. Sur mon âme, le serment t’en fais.
— Tu es plus que mon frère, ami Edrulain. Je louerai ton nom jusqu’à la fin de mes jours, les enfants que j’aurais un jour loueront ton nom, les enfants de mes enfants loueront ton nom et ainsi jusqu'à la septième génération de mes descendants ! Ma maison sera ta maison, mon épouse sera ton épouse, ta mère sera comme ma mère, tes enfants comme mes enfants ! Bienheureux le jour de notre rencontre ! Il est donc vrai qu’un bienfait trouve toujours sa récompense !

Oui, il y a une brève apparition d'un Shar Al-Shamid dans la Ballade de Fronin. Souvenez-vous, à Beauxmats, le coucher de soleil ! Il me plait de le voir réapparaître ici, ça m'évite d'avoir à inventer un nom et ça peut donner lieu à une rencontre rigolote un peu plus tard dans le livre -ou pas-

1 commentaire:

Olivier Jourdan a dit…

J'adore ce personnage!

Ca fait plaisir, je vais retrouver ma dose hebdomadaire de Folandes =D